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Entretien

Paul Watson : “40 % des poissons vendus proviennent de pêches illégales”

  1. 1Weronika Zarachowicz Publié le 09/08/2015.

http://www.telerama.fr/idees/paul-watson-40-des-poissons-vendus-proviennent-de-peches-illegales,130026.php


© Yann Rabanier pour Télérama

  1. 2

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En 1977, il fonde Sea Shepherd, ONG de défense des animaux marins aux méthodes controversées. A 64 ans, toujours radical, le capitaine n'a pas fini de jouer les pirates.

La vie du Canadien Paul Watson a basculé un jour de 1975, au large des côtes californiennes, quand son regard a croisé celui d'un cachalot agonisant, poursuivi par la flotte baleinière soviétique. Ce jour-là, il a juré allégeance « aux victimes de l'humanité » et décidé d'oeuvrer pour la sauvegarde de la vie marine. Ainsi parle le capitaine Watson, 64 ans, pirate des temps modernes dont les traits rappellent furieusement ceux d'un Benicio del Toro à cheveux blancs. Le cofondateur de Greenpeace, le créateur de la Sea Shepherd Conservation Society, le héros des causes (presque) perdues n'a jamais changé de cap. Mille fois, il a risqué sa vie et défié les baleiniers, les chasseurs de phoques, mais aussi de requins, dont il connaît et rappelle sans cesse le rôle central pour le maintien de la vie océanique. Le Japon a demandé à Interpol de le classer sur sa liste rouge. Paul Watson est devenu le premier réfugié politique écologiste en France.

D'où vient votre passion pour les océans ?

Tout a commencé par les animaux. J'ai grandi dans un petit port de pêche, sur la côte est du Canada, entouré d'oiseaux, de phoques, de baleines. Je garde un souvenir émerveillé de l'été de mes 10 ans, à nager des jours entiers dans la rivière aux côtés d'une famille de castors. Un an plus tard, quand je suis revenu, ils avaient tous disparu. J'ai appris qu'ils avaient été exterminés par les trappeurs du coin. L'hiver suivant, j'ai pisté les sentiers de piégeage des alentours, j'ai libéré les animaux un à un et j'ai détruit tous les pièges. Il y a eu une enquête, mais personne n'a imaginé que l'auteur ait pu être un enfant, donc je m'en suis sorti.

Etait-ce illégal de détruire des pièges ?

Oui, et je suis ainsi devenu activiste à l'âge de 11 ans. Cela n'a pas été un choix conscient, cela s'est fait comme ça. Cette expérience m'a aussi conduit à Archibald Belaney, un trappeur d'origine britannique qui s'était fait connaître dans les années 1920 au Canada parce qu'il avait choisi de vivre parmi les Indiens, sous le nom de Grey Owl (« Chouette grise »), au point que tous le croyaient indien. Son mariage avec une jeune Iroquoise a bouleversé son destin. Sous son influence, il a renoncé à être trappeur, a adopté avec elle un couple de castors et s'est consacré à l'écriture. Ses ouvrages sur la vie sauvage, qui en ont fait un précurseur de l'écologie, ont joué un rôle capital dans l'éveil de ma conscience, comme beaucoup d'autres livres.

“On ne peut pas se contenter de supplier ceux qui exterminent les animaux : ‘S'il vous plaît, s'il vous plaît, arrêtez de les tuer.’”

Lesquels ?

Never Cry Wolf, par exemple, du poète et écrivain canadien Farley Mowat, qui est devenu un grand ami par la suite. Jules Verne, bien sûr, un des premiers à comprendre le danger que représentent les hommes pour les océans. Quel extraordinaire personnage que son capitaine Nemo ! Nemo, autrement dit « personne », était un véritable misanthrope : il s'identifiait au monde naturel. C'est avec lui que j'ai découvert cette idée du biocentrisme, selon laquelle les hommes ne sont ni au centre de la création ni supérieurs aux autres espèces. J'ai retrouvé cette approche révolutionnaire dans Les Racines du ciel, de Romain Gary. Il y a aussi eu Edward Abbey, l'auteur du Gang de la clef à molette, qui a inspiré la création en 1981 d'Earth first !, une organisation écologiste. Ed a été l'un des conseillers de Sea Shepherd quand je l'ai créée en 1977. Il m'a d'ailleurs intégré dans son dernier livre, Le Retour du gang de la clef à molette — je sauve son personnage principal, George Washington Hayduke, dans la mer de Cortez, avec un navire de Sea Shepherd.

Comment est né Sea Shepherd ?

Avec un bateau, avant même que l'organisation ne voie le jour. Nous avons lancé notre première campagne pour sauver des bébés phoques sur la côte est du Canada. L'appellation Sea Shepherd, autrement dit « berger de la mer », m'est venue en voyant ces petits êtres qui étaient la personnification même de l'innocence. Ils m'ont fait penser à des agneaux. Pendant des années, les gens ont cru que nous étions une organisation de secours chrétienne...


Protection des baleines : où en est-on ?

Les baleines ont été tellement chassées qu'elles ont failli disparaître. C'est ce qui a amené la communauté internationale à voter un moratoire sur la chasse commerciale en 1986, promulgué par la Commission baleinière internationale (CBI). Le nombre de cétacés augmente à nouveau. Mais certaines espèces restent très menacées. Depuis 1986, l'Islande, la Norvège et le Japon ont massacré plus de 25 000 baleines sous couvert de recherches scientifiques et à des fins commerciales. La CBI n'a pas le pouvoir de faire appliquer le moratoire.

Que signifie être un « berger de la mer » aujourd'hui ?

Avec nos neuf bateaux, nous protégeons la vie dans les océans, tout comme un berger le fait sur la terre ferme. Je définis notre mode d'action comme de la « non-violence agressive » : un berger peut intervenir agressivement pour protéger son troupeau, mais sans jamais blesser un être sensible, quel qu'il soit. Il a fallu des années avant que les gens comprennent notre message. Un seul homme a immédiatement saisi le sens de notre ­action. En 1985, un moine bouddhiste tibétain m'a offert une statuette « protectrice », un cheval avec des ailes de dragon, en me demandant de la placer sur le mât de misaine de notre navire, à Seattle. Ce que j'ai fait, sans trop y croire. Quelques années après, j'ai eu la chance de déjeuner avec le dalaï-lama à Washington, et j'ai appris que c'était lui qui m'avait fait envoyer cette petite statue. Il m'a expliqué qu'il s'agissait de Hayagriva, le symbole de la colère compassionnelle du Bouddha. « On n'a jamais envie de blesser quelqu'un, m'a-t-il dit en souriant, mais parfois, quand vos interlocuteurs ne veulent pas voir la lumière, vous n'avez d'autre choix que de leur flanquer une peur bleue jusqu'à ce qu'ils comprennent. » Sea Shepherd reste considérée comme une organisation de pirates radicaux, voire extrémistes... Nous n'enfreignons pas la loi. Nous la faisons respecter, car les baleiniers ne respectent pas le moratoire (voir encadré). Et nous n'avons jamais blessé personne, depuis la création de Sea Shepherd. Trois personnes m'ont guidé à travers le chemin de la non-violence : le dalaï-lama, Gandhi et Martin Luther King. Ce der­nier a dit qu'un acte de violence ne peut être commis contre quelque chose de non sensible, mais seulement contre un être vivant. En réalité, détruire un harpon, ôter le fusil des mains d'une personne qui va tuer un animal ou un homme sont des actes de non-violence car vous détruisez un objet pour sauver une vie. Mais, aujourd'hui, nos sociétés modernes sacralisent la propriété privée plus que la vie. En 1986, nous avons coulé la moitié de la flotte baleinière islandaise et détruit l'usine de traitement de chair à baleine. Ils ont mis dix-sept ans à s'en remettre et ont perdu 10 millions de dollars. Le directeur de Greenpeace de l'époque m'a publiquement accusé d'être irresponsable, une honte pour l'écologie. Je lui ai répondu que nous n'avions coulé ces baleiniers ni pour Greenpeace ni pour le mouvement écologiste, mais pour les baleines. C'est ce qui importe à mes yeux, et le fait que personne n'ait été blessé. Des milliers de baleines nagent dans les océans parce que nous sommes intervenus.

“Protéger la planète est plus fort à mes yeux que protéger sa patrie.”

Un berger de la mer doit être un « éco-guerrier » ?

Nous ne sommes pas une organisation de « protestation » mais d'intervention. On ne peut pas se contenter de supplier ceux qui exterminent les animaux : « S'il vous plaît, s'il vous plaît, arrêtez de les tuer. » Il faut leur dire : « Vous ALLEZ arrêter de les tuer. Nous ferons obstruction, nous saboterons vos navires, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous empêcher d'assassiner ces animaux. Mais nous ne vous tuerons pas. »

Demandez-vous toujours aux candidats aux expéditions sur un navire Sea Shepherd s'ils sont prêts à risquer leur vie pour une baleine ?

Oui. Prendre la mer est dangereux, nous ne sommes jamais sûrs d'en sortir indemnes, et c'est à prendre en compte avant de s'engager. Mais je pense qu'il est plus noble de risquer sa vie pour la planète (et donc les hommes) que de mourir ou tuer pour du pétrole ou une religion. Protéger la planète est plus fort à mes yeux que protéger sa patrie.

Et les grandes conférences internationales comme la Cop 21, qui se tiendra fin 2015 à Paris, quelle efficacité ont-elles eue pour protéger les océans ?

Aucune. La situation a empiré. Depuis Rio, chacune de ces conférences n'a rien donné, hormis des discussions et des promesses qu'aucun homme politique n'a jamais tenues. Les changements sont venus des citoyens. Nous disposons désormais du plus vaste mouvement de protection de la nature qui ait jamais existé dans l'histoire, reposant sur l'intervention non violente et efficace. Il est global, et il connaît la plus forte croissance. On compte trois millions d'ONG environnementales dans le monde, de la Russie aux Etats-Unis, en passant par le Bangladesh ou la Namibie. Tous ces individus, ces organisations ont compris qu'il s'agit d'assurer la survie des espèces, dont la nôtre.

“Ce n'est pas que nous ne savons pas. Nous nous en foutons.”

Est-ce plus facile de mobiliser pour la protection des océans aujourd'hui ?

Oui, dans la mesure où de plus en plus de gens sont conscients de ce qui se passe. Nous revenons de loin. Je me souviens avoir cherché un restaurant végétarien à Paris, en 1972, et on m'a regardé avec des yeux écarquillés comme si je demandais un endroit où consommer de la cocaïne... Aujourd'hui, le nombre de végétariens ne cesse d'augmenter. Toujours en 1972, nous avions posé un panneau géant à Vancouver, sur lequel était écrit : « Ecologie, renseignez-vous et engagez-vous ». Personne ne comprenait le sens de notre slogan. Aujourd'hui, tout le monde connaît le mot « écologie ». Le problème, c'est que nous manquons de compassion, et de volonté. Nous sommes trop occupés à nous distraire et à consommer. Ce n'est pas que nous ne savons pas. Nous nous en foutons. Et puis, faire passer l'information dans les médias est devenu plus difficile. Quand nous avons organisé notre campagne contre une flotte de baleiniers soviétiques en 1975, nous l'avons filmée. Le film est passé au JT national de CBS, tout le monde l'a vu. C'est impossible aujourd'hui. L'information est dispersée sur les différents médias, sur Internet.

Comment alerter, alors ?

En répétant le même message : si l'océan meurt, nous mourrons. Parce que les océans fournissent 80 % de l'oxygène que nous respirons, qu'ils régulent le climat, qu'ils fournissent de la nourriture. Or, depuis 1945, 90 % des êtres vivants dans les océans ont disparu. Nous avons perdu 30 % de l'oxygène produit par le phytoplancton. A cause des pollutions — plastiques, hydrocarbures, métaux lourds... —, du réchauffement climatique, de l'acidification due au gaz carbonique, de la destruction des estuaires, de la surpêche, de l'aquaculture... C'est insensé. Mais la plupart des gens ne comprennent pas la gravité des menaces, ni la relation intime qui lie la bonne santé des océans à la leur. Dès lors que la biodiversité des océans diminue, leur capacité à survivre est compromise, et donc la nôtre aussi. Et maintenant, non contents d'avoir vidé les océans de leurs poissons, de gigantesques bateaux norvégiens ou japonais s'attaquent au plancton, qu'ils veulent transformer en pâte protéinée afin de nourrir le bétail sur terre. Ignorants et arrogants, ils ont juste oublié que le phytoplancton fournit l'oxygène que nous respirons.

Comment expliquer cette cécité ?

Ces phénomènes de destruction se passent sous l'océan, loin de nos yeux. Et tout le monde se dit : qu'est-ce que ça a à voir avec moi ? A quelques rues d'ici, vous trouverez une poissonnerie qui vend des poissons en provenance du monde entier, dont une bonne partie d'espèces en voie de disparition. Sur les marchés et dans les restaurants, 40 % des poissons vendus proviennent de pêches illégales. Les Etats-Unis, par exemple, importent plus de poissons que l'ensemble des quotas légaux autorisés. Par ailleurs, 40 % des poissons servent à nourrir le bétail, les porcs et les poulets... Nous n'avons aucune considération pour la vie dans les océans. Nous parlons des poissons en « tonnes », en oubliant qu'il s'agit de créatures uniques, et conscientes. Imaginez que vous traîniez un gigantesque filet sur une centaine de kilomètres à travers le parc du Serengeti, en Tanzanie, tuant tous les animaux sur votre passage. C'est ce que nous faisons dans les océans, toujours plus profondément. Il n'y a pourtant aucune différence entre un lion et un thon rouge ! Tous deux sont des prédateurs géants, uniques dans leur environnement. Le thon rouge est un poisson à sang chaud, ce qui est exceptionnel, et il s'agit d'une des espèces les plus rapi­des, comme le poisson guépard. Mais nous n'avons aucune hésitation à les exterminer, parce que nous ne les voyons pas. Laisser une baleine ou un dauphin agoniser dans son sang pendant des heures ne choque pas, alors qu'il s'agit d'animaux magnifiques, intelligents et conscients d'eux-mêmes.

“Il faudrait trois planètes afin que chacun sur Terre puisse s'aligner sur le mode de vie d'un habitant de New York ou Paris.”

Il faut arrêter de manger du poisson ?

Oui, il faut cesser de vider les océans, d'en dévorer toute la vie. Il ne faut plus rien manger qui vienne de la mer. Il n'existe aucune « pêcherie durable » qui puisse nourrir plus de sept milliards d'humains.

La surpopulation est la menace la plus grave qui pèse sur l'océan ?

Tout vient de là. Il y a sur Terre trop d'habitants, qui mangent trop d'aliments et qui polluent trop. Trop d'habitants qui désirent trop de choses. C'est une situation impossible qui nécessiterait trois planètes afin que chacun sur Terre puisse s'aligner sur le mode de vie d'un habitant de New York ou Paris. En 1950, notre planète abritait 3 milliards de personnes. Nous sommes aujourd'hui 7,5 milliards, la plupart âgés de moins de 25 ans. Nous volons la capacité de charge (le nombre maximum d'animaux qu'un territoire peut tolérer) des autres espèces, dont nous-mêmes dépendons. Car nous sommes tous interdépendants. Le monde ne pourra pas supporter cette croissance. Nous allons vers une période d'effondrement, qui peut d'ailleurs se produire très brutalement. Il suffit que disparaissent quelques espèces clés pour notre survie — les abeilles, l'herbe, le riz... — pour que la population tombe sous le milliard en deux ans. Les requins sont une espèce « clé de voûte », car ils sont les prédateurs de plusieurs espèces qui mangent le plancton. S'ils sont exterminés, cela entraînera l'effondrement de l'ensemble du système marin. L'Asie n'est pas la seule responsable ; la France est le deuxième pays qui tue le plus de requins en Europe. Mais nous ne le comprenons pas. Et ceux qui s'expriment sur le sujet sont considérés comme des radicaux. En réalité, ce sont bien les gens qui détruisent la planète qui sont les vrais radicaux, et nous, les vrais conservateurs.

Vous arrive-t-il d'être découragé ?

Rarement. Les Lakotas, peuple sioux d'Amérique, m'ont appris qu'un guerrier doit se concentrer uniquement sur l'action, jamais sur le résultat. Ce qui compte, c'est de faire ce que nous estimons juste de faire, aujourd'hui, dans l'action présente. Ensuite, les gens choisissent d'écouter ou pas. Un proverbe indien dit : « Informe les gens une fois. S'ils ne t'écoutent pas, ce n'est plus ton problème, continue ton chemin. » Moi, je continue à agir. Comme quand j'avais 11 ans.

Paul Watson en quelques dates

2 décembre 1950 Naissance à Toronto.

1971 Signe le document de création de Greenpeace.

1975 Opération de sauvetage de cachalots contre des baleiniers soviétiques. Un cachalot blessé choisit d'épargner l'embarcation de Paul Watson.

1977 Quitte Greenpeace et fonde la Sea Shepherd Conservation Society.

2000 Le magazine Time le désigne comme l'un des héros écologistes du xxe siècle.

2014 Poursuivi par le Costa Rica et le Japon, inscrit sur la liste rouge d'Interpol, Paul Watson trouve refuge en France.

À lire

Earthforce. Manuel de l'éco-guerrier, capitaine Paul Watson, éd. Actes Sud, coll. Domaine du possible, 188 p., 18 €.

Capitaine Paul Watson. Entretien avec un pirate, Lamya Essemlali, éd. Glénat, 284 p. 22 €. 


 

Un effet

bœuf

sur le climat

Texte : Marc Belpois    Photos : Léa Crespi

http://www.telerama.fr/monde/effetboeuf/



C'est un troupeau de vaches qui s'en va au pré, dans un coin vallonné du Tarn. Un chien zélé leur agace les pieds, son maître le réprimande machinalement. Il observe plutôt du coin de l'oeil l'effet produit sur le visiteur par ses chères salers, irrésistibles dans leur robe acajou, rustiques jusqu'au bout des cornes en forme de lyre. Philippe Roucan, 59 ans, est si fier de ses bêtes qu'on s'en veut de les regarder avec suspicion.

 

La faute au réquisitoire contre la viande qui se répand sur le Net, la presse spécialisée, les dîners en ville : notre régime carné détraque le climat. Et pas qu'un peu ! « Lorsqu'une famille de quatre personnes mange un steak, lit-on par exemple dans La Vérité sur la viande, un ouvrage collectif réunissant une vingtaine de scientifiques, politiques et journalistes ­spécialisés (1) , cela équivaut à peu près en termes d'énergie à conduire une voiture pendant trois heures en laissant toutes les lumières allumées chez soi. » De redoutables pollueuses, les vaches de Philippe ? De sacrées gourmandes, en tout cas. Le troupeau a repéré le pâturage de la journée. Les voici qui trottinent déjà pour rafler le meilleur coin d'herbe grasse. Il nous semble que si elles pouvaient parler elles diraient qu'on est gonflé de leur mettre le réchauffement climatique sur le dos.

content

En 2014,

les Terriens ont consommé

42,9 kg

de viande en moyenne.

33,7 kg

dans les pays en voie de développement.

76,1 kg

dans les pays développés.


C'est un rapport de la FAO, la branche de l'ONU chargée de l'alimentation et de l'agriculture, qui, en 2007, fit définitivement admettre la responsabilité de la viande dans le coup de chaud planétaire — alors qu'elle n'est pas même citée dans Une vérité qui dérange, le cri d'alarme d'Al Gore sorti un an plus tôt sur les écrans ! La FAO concluait : « Le secteur de l'élevage a des impacts environnementaux si profonds et d'une telle ampleur qu'il devrait être considéré comme l'un des principaux centres de préoccupation des politiques environnementales (2) . »

 

Six ans plus tard, elle estimait qu'il rejette à lui tout seul 7,1 gigatonnes d'équivalent CO2 par an dans l'atmosphère, soit 14,5 % des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. C'est beaucoup...


Le modèle de l’élevage intensif,

chargé de satisfaire les voraces carnivores

que nous sommes, est nocif pour le climat.

Dans le Tarn, un éleveur de salers a choisi une autre voie :

produire moins, mais mieux,

dans le respect de l’environnement.

 


C'est un troupeau de vaches qui s'en va au pré, dans un coin vallonné du Tarn. Un chien zélé leur agace les pieds, son maître le réprimande machinalement. Il observe plutôt du coin de l'oeil l'effet produit sur le visiteur par ses chères salers, irrésistibles dans leur robe acajou, rustiques jusqu'au bout des cornes en forme de lyre. Philippe Roucan, 59 ans, est si fier de ses bêtes qu'on s'en veut de les regarder avec suspicion.

 

La faute au réquisitoire contre la viande qui se répand sur le Net, la presse spécialisée, les dîners en ville : notre régime carné détraque le climat. Et pas qu'un peu ! « Lorsqu'une famille de quatre personnes mange un steak, lit-on par exemple dans La Vérité sur la viande, un ouvrage collectif réunissant une vingtaine de scientifiques, politiques et journalistes ­spécialisés (1) , cela équivaut à peu près en termes d'énergie à conduire une voiture pendant trois heures en laissant toutes les lumières allumées chez soi. » De redoutables pollueuses, les vaches de Philippe ? De sacrées gourmandes, en tout cas. Le troupeau a repéré le pâturage de la journée. Les voici qui trottinent déjà pour rafler le meilleur coin d'herbe grasse. Il nous semble que si elles pouvaient parler elles diraient qu'on est gonflé de leur mettre le réchauffement climatique sur le dos.

content

En 2014,

les Terriens ont consommé

42,9 kg

de viande en moyenne.

33,7 kg

dans les pays en voie de développement.

76,1 kg

dans les pays développés.

C'est un rapport de la FAO, la branche de l'ONU chargée de l'alimentation et de l'agriculture, qui, en 2007, fit définitivement admettre la responsabilité de la viande dans le coup de chaud planétaire — alors qu'elle n'est pas même citée dans Une vérité qui dérange, le cri d'alarme d'Al Gore sorti un an plus tôt sur les écrans ! La FAO concluait : « Le secteur de l'élevage a des impacts environnementaux si profonds et d'une telle ampleur qu'il devrait être considéré comme l'un des principaux centres de préoccupation des politiques environnementales (2) . »

 

Six ans plus tard, elle estimait qu'il rejette à lui tout seul 7,1 gigatonnes d'équivalent CO2 par an dans l'atmosphère, soit 14,5 % des gaz à effet de serre émis par les activités humaines. C'est beaucoup...


L’élevage engendre

14,5 %

des gaz à effet de serre

d’origine humaine.

 

Du fait de la production d’aliments pour le bétail :

45 %

de la digestion des ruminants :

39 %

du stockage et du traitement des fumiers et lisiers :

10 %

de la transformation

et du transport

des produits animaux :

6%


Philippe Roucan acquiesce, mais il ne fait pas vraiment le lien avec son activité, cent vingt têtes de bétail réparties dans les prairies alentour — une belle exploitation pour cette région montagneuse. Que les usines à viande polluent, c'est l'évidence. Leur mode de fonctionnement est une aberration écologique. Entassés dans des hangars toujours plus grands, bovins, porcs, volailles se gavent d'aliments massivement importés (à hauteur de 77 % pour l'élevage européen). En particulier du Brésil, où l'on rase la forêt amazonienne, poumon de la planète, pour laisser place à de gigantesques champs de soja — transgénique essentiellement — imprégnés d'engrais et sillonnés de gros tracteurs. A cela, il faut ajouter les transports de céréales et de viande aux quatre coins de la planète, le stockage et le traitement des effluents (les fumiers et lisiers), les quantités astronomiques d'eau utilisées pour nettoyer les sols bétonnés...

 

« Vous pensez vraiment que nous faisons le même métier ? » lâche Philippe, la tête ailleurs. Il est inquiet, il ne retrouve plus toutes ses vaches, un groupe d'une trentaine de bêtes qui pâturent sur un terrain si grand et si encaissé qu'il nous faudra un bon quart d'heure avant de les repérer, paisiblement allongées à l'orée d'un bois. D'accord, comme tous les bovins du monde, elles ont la digestion problématique : leurs rots sont chargés en méthane (39 % des émissions causées par l'élevage). « Mais bon sang, elles se nourrissent d'herbe et du foin que je fauche sur place, j'utilise de l'eau de source, quasiment pas d'engrais parce que je traite mon fumier avec des bactéries qui triplent son efficacité. Sans compter que j'entretiens près de deux cents hectares de prairies permanentes qui absorbent les gaz. Mon bilan carbone est positif, vous pouvez me croire ! »

 

Hélas, Philippe est la partie émergée de l'iceberg-élevage, celle que l'on aperçoit à la campagne, l'image rassurante d'une France rurale éternelle. Il est aussi, bien malgré lui, la vitrine de la filière de la viande, un secteur d'activité gigantesque qui oeuvre à l'abri des regards. En voit-on souvent, des poulets qui batifolent en liberté ? Et des cochons ? En France, moins de... 1 % des vingt-trois millions de porcs abattus chaque année sont élevés en plein air. « Je vous garantis que si les gens passaient ne serait-ce qu'une tête dans ces bâtiments où les animaux vivent les uns sur les autres, ça leur couperait l'appétit, maugrée Philippe. Attention, certains sont bien tenus, propres et tout. Mais pensez à toutes ces bêtes qui ne voient jamais la lumière du jour, ce n'est pas une vie ! »


Monde cruel. Depuis qu'au XIXe siècle le capitalisme industriel s'est emparé de l'élevage, que la zootechnie (« science de l'exploitation des machines animales », selon la terminologie de l'époque) s'en est mêlée, le moral des bêtes est hors sujet. Comme le résume Jocelyne Porcher, chercheuse à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique), « le productivisme et la recherche forcenée du "toujours plus" ont entraîné les éleveurs dans une course sans fin. Toujours plus de lait, de porcelets, d'agneaux... Toujours plus vite, toujours plus de profits pour les investisseurs de l'industrie de la viande et de l'agroalimentaire, de la pharmacie, de la génétique, du bâtiment, de la banque... (3) ».

 

Et voici que les Français découvrent, un rien abasourdis, la ferme des mille vaches, monstrueux complexe high-tech capable, chaque heure, de traire trois cents bêtes, parquées à vie, sans le moindre brin d'herbe à brouter. Pis, ce symbole médiatique d'un modèle agricole qui a perdu la tête est l'arbre qui cache la forêt des projets démentiels : un « atelier d'engraissement » de deux mille taurillons dans l'Aube, une porcherie industrielle de quinze mille porcs dans la Marne, un « élevage » de deux cent cinquante mille poules pondeuses dans la Somme, etc.


La production de viande bovine contribue aux émissions

du secteur à hauteur de

41 %

le lait de vache à

20 %

la viande de porc à

9 %

et la viande de volaille

et les œufs à

8 %


Et la COP21 ? Qu'attendre de cette conférence des Nations unies sur le changement climatique, à Paris, en décembre prochain ? Qu'elle torde le cou à ce système de concentration d'animaux hors-sol, déconnecté des cycles naturels, définitivement anachronique puisque le facteur écologique n'entre pas dans son équation ? Ne rêvons pas trop. L'industrie de la viande brandit déjà son argumentaire rodé, construit autour des concepts d'« agriculture intelligente » et d'« élevage de précision ». Il ne s'agit en aucun cas de remettre en cause le système, mais de l'optimiser afin d'atténuer ses effets délétères sur le climat. En particulier avec des engrais moins polluants, et une panoplie de capteurs et d'automates permettant par exemple de suivre la croissance de chaque animal, afin de lui fournir une alimentation sur mesure, et de limiter le gaspillage. Et puis, soyons sérieux, ce ne sont pas Philippe et ses salers qui vont nourrir la planète.

 

A ce propos, balayons une idée reçue : Philippe ne pratique pas un élevage

« traditionnel », au sens où il reproduirait les techniques du Moyen Age, voire du néolithique. L'élevage a dix mille ans d'histoire. Il est le fruit d'une longue évolution, d'apports tous azimuts, y compris de la science. Mais l'éleveur appartient à un monde paysan qui écoute avec circonspection « la grand-messe du développement », comme il dit. « Pour nourrir mes bêtes, il faudrait que je retourne sans cesse mes champs afin d'alterner le maïs avec d'autres cultures ? J'ai toujours su que le foin de mes prairies naturelles convenait parfaitement à mes vaches, il contient une trentaine de plantes. Je leur donne aussi de la luzerne, ça fait de la protéine et elles en sont folles ! Evidemment, je ne rapporte d'argent à personne, ni aux semenciers ni aux marchands d'engrais ou de gasoil. »


Question productivité, Philippe ne rivalise pas avec la concurrence industrielle, qui engraisse le bétail de manière à raccourcir au minimum le temps entre la naissance et l'abattoir, et à accélérer la rotation des animaux. Et le monde paysan n'est pas en mesure (du moins en l'état) de fournir les quantités astronomiques de viande que réclament les Terriens : 42 kilos en moyenne par personne et par an. Il l'est d'autant moins que la demande est exponentielle : les pays émergents lorgnent le régime carné des pays développés (76 kilos par tête de pipe), symbole à leurs yeux de réussite et de modernité. Ajoutez à cela les projections de la FAO : « Alors que la population mondiale atteindra 9,1 milliards en 2050, la production annuelle en viande devra augmenter de plus de 200 millions de tonnes pour atteindre 470 millions de tonnes. » Il faudra donc produire quasiment le double, une folie ! Non pas que cela soit impossible. On devine que l'industrie de la viande se frotte les mains à l'idée d'abattre, de conditionner et de vendre 110 milliards d'animaux chaque année, au mitan du siècle. Seulement, les humains aussi finiront en rôti. Etuvés par le dérèglement climatique.

 

Il y a bien une solution pour alléger le poids de l'élevage sur la planète. On s'étonne d'ailleurs que la FAO n'y ait pas pensé : que les humains consomment moins de steaks, de faux-filets, de nuggets de poulet, de tranches de jambon et de bavettes. Cela suppose une révolution des esprits. Mais elle a déjà commencé... Le végétarisme progresse dans la plupart des pays, même si « sa pratique est encore largement perçue comme un "choix radical" », notent les auteurs de La Vérité sur la viande (1) . En revanche, l'idée de réfréner son appétit carnassier deux ou trois fois par semaine fait son petit bonhomme de chemin — pour des raisons de santé notamment, le mythe de la viande rouge à tous les repas pour fortifier le corps a du plomb dans l'aile. Elle se heurte encore malgré tout aux habitudes alimentaires : « Demandez à un Européen de nommer un plat végétarien nourrissant faisant partie de son héritage culturel : il y a de fortes chances qu'il n'y arrive pas (1) . »


« La ratatouille ? » propose Philippe après quelques secondes de réflexion, alors que nous dégustons un rosé dans sa salle à manger. D'une poêle ­fumante, il extrait deux côtelettes de veau saupoudrées de gros sel qu'il ­dépose dans nos assiettes. « Vous savez, nous aussi on mange moins de viande qu'avant. On se contente parfois d'un peu de charcuterie », lâche-t-il, le sourire en coin. Nos couteaux découpent sans effort la chair persillée, un régal. « Vous en prenez, du veau, à la cantine de Télérama ? C'est comme si c'était une autre espèce animale, non ? Mon veau est garanti sans cochonneries, je peux vous regarder dans les yeux quand vous le dégustez. » Et il ajoute : « Evidemment, cette côtelette a un prix... »

 

Qu'on leur achète la viande à son juste prix, voilà ce que réclament les manifestants en colère qui bloquent les abattoirs ou font des opérations commandos dans les supermarchés. Des éleveurs sous perfusion, bénéficiaires de subventions européennes qui ne suffisent plus, cependant, à couvrir les frais dès lors que la carcasse de porc est vendue 1,40 euro le kilo. « A ce tarif-là, comment voulez-vous qu'ils s'en sortent. Ils n'ont pas d'autre solution que d'entasser des animaux sans faire de sentiment. Ce ne sont pas des salauds : j'en connais un paquet qui seraient ravis d'avoir moins de bêtes et de mieux s'en occuper. » On n'imagine pas la violence faite aux hommes contraints de maltraiter les animaux que nous mangeons.


Si, conformément

aux recommandations nutritionnelles de l’Ecole

de santé publique d’Harvard, nous limitions notre consommation moyenne

de viande, de poissons

et d’oeufs à

90 g

 par jour,

cela réduirait de

36 %

les émissions

d’origines agricoles.

Les français mangent

250g

de viande par jour

en moyenne,

soit l'équivalent

de deux steaks hachés.

Philippe, c'est la crise de la vache folle qui l'a sauvé. Lorsqu'il y a une vingtaine d'années l'épidémie s'est propagée, que la consommation s'est effondrée, ses génisses lui sont restées sur les bras. Peu importait qu'elles n'aient jamais eu la moindre once de farine animale dans leur gamelle, le marché n'en voulait plus, point barre. « Et puis des gars sont venus à la ferme, ils souhaitaient que je leur prépare un veau. Me connaissant, ils savaient qu'ils ne risquaient pas de s'empoisonner. D'autres clients ont suivi et, avec le bouche à oreille, je me suis constitué un réseau. J'ai appris à faire des morceaux, à mettre la viande sous vide, à organiser les colis, bref, tout le ­mécanisme de la vente directe. »

 

Acheter (un peu) plus cher sa bavette et en manger (beaucoup) moins ? Nos ventres gargouillent de contentement tandis que nous méditons sur les avantages du « circuit court », ce séduisant cordon entre un monde paysan naturellement respectueux de l'environnement et notre fourchette. Il donne aux consommateurs que nous sommes le pouvoir de refroidir la planète. Et de soutenir les paysans, par la même occasion. Comme dit Philippe, « il vaut quand même mieux cent gars avec mille poulets en pleine forme, qu'un seul gars avec cent mille poulets qui ne tiennent pas debout, non ? » .

 

1 La Vérité sur la viande, ouvrage collectif, éd. Les Arènes.

2 L’Ombre portée de l’élevage, FAO.

3 Vivre avec les animaux. Une utopie pour le XIXe siècle, Jocelyne Porcher, éd. La Découverte.



Sources : FAO, GIEC, La Vérité sur la viande (ouvrage collectif, éd. Les Arènes).

 


http://www.rfi.fr/hebdo/20150814-californie-data-centers-secheresse-climatisation-eau-silicon-valley-serveurs-informat/?ns_mchannel=fidelisation&ns_source=newsletter_rfi_hebdo&ns_campaign=email&ns_linkname=editorial&rfi_member_id=1140151595651&aef_campaign_ref=article&aef_campaign_date=2015-08-14


En Californie, la «soif» inextinguible des «data centers» - Hebdo - RFI


L’appétit des data centers, les centres de sauvegarde de données informatiques, pour l’énergie électrique est bien connue. Les serveurs informatiques, ces machines qui stockent les informations numériques, alignés côte à côte dans des salles dédiées, tournent 24 heures sur 24 et sont forcément très gourmands en électricité. Mais leur « soif » d’eau était jusqu’à présent quasi ignorée du grand public.

Dans un récent article du Wall Street Journal, Drew Fitzgerald révèle l’énorme consommation d’eau des data centers californiens. Le journaliste pointe que, selon le cabinet de consultance en technologies 451 Research LLC, plus de 800 data centers sont implantés en Californie, le berceau de la Silicon Valley. Se basant sur ce chiffre et une estimation de leur consommation d’eau (produite par le secteur industriel lui-même), il calcule que la totalité des centres de stockage de données informatiques de cet Etat du sud-ouest des Etats-Unis utilisent à l’année autant d’eau que nécessiterait un remplissage de 158 000 piscines olympiques.

Le fonctionnement des data centers repose, surtout en Californie où les températures grimpent jusqu’à plus de 40°C l’été, sur leur climatisation. En effet, les centaines de serveurs informatiques utilisés pour le stockage des données ont besoin d’un environnement tempéré pour être efficaces et nécessitent donc d’être refroidis toute l’année, ce qui requiert beaucoup d’électricité… et d’eau, les climatiseurs utilisés dans les data centers californiens étant le plus souvent des climatiseurs dits « à eau perdue », dont l'eau utilisée pour refroidir l'air est évacuée ensuite par les égoûts, ou à eau glacée.

Sécheresse endémique

Un centre de sauvegarde de données de taille moyenne (15 mégawatts), par exemple, aura besoin de 300 à 490 millions de litres d’eau par an pour rafraîchir ses machines. Chaque data center de cette taille consomme à l’année autant d’eau que trois hôpitaux, un peu plus d’eau que 200 hectares d’amandiers - une culture traditionnelle en Californie -, et plus d’eau que deux golfs de 18 trous.

La plus grande « ferme à serveurs » de Californie grandit de 4% sa taille par an. La compagnie Emerson Electric, qui vend des climatiseurs aux data centers, prévoit - en plus de cette croissance particulière - une multiplication des centres. Chaque opérateur devrait construire trois nouveaux data centers de taille moyenne par an en Californie, selon ses estimations. Bientôt, le marché des data centers sera le plus rentable de l’Etat. Et si les centres de sauvegarde de données informatiques consomment aujourd’hui bien moins d’eau que l’agriculture (le secteur engloutit 80% de l’eau de l’Etat) ou les producteurs d’électricité, leur inévitable croissance entraînera une pression de plus en plus forte sur l’environnement, d’autant plus que les data centers ont généralement besoin de l’eau traitée par la municipalité, la même que celle utilisée par les restaurants et les hôtels. (L’agriculture se sert dans les lacs et les sources, et les installations électriques peuvent, elles, employer de l’eau salée quelques fois).

Depuis quatre années, la Californie est confrontée à une sécheresse endémique. Le niveau d’eau douce des rivières et des nappes phréatiques est historiquement bas, certaines sont déjà asséchées. La situation est si préoccupante que le gouverneur de l’Etat, Jerry Brown, a ordonné aux villes californiennes de réduire de 25% leur consommation annuelle d’eau. Mais les entreprises ont été largement épargnées par ses économies, même si le secteur agricole a récemment décidé de freiner sa consommation. Les officiels californiens ne s’en cachent pas : les restrictions en eau ne doivent pas entraver le développement économique.



Un amandier mort à Bakersfield, le 23 juillet 2015, à cause d'une sécheresse historique en Californie.

REUTERS/Lucy Nicholson

Récolter l'eau de pluie

Pour moins dépendre de l’eau potable des villes, certains centres de données essaient tout de même de diversifier leurs « fournisseurs » en eau. Microsoft Corporated, qui dirige plus de cent data centers en Californie, éteint ses climatiseurs lorsque la température extérieure n’est pas trop élevée, ce qui est une façon de réduire sa consommation en eau. Google Incorporated tente de récolter l’eau de pluie et d’autres ressources hydriques non potables. Digital Reality Trust Incorporated a passé des contrats avec des mairies afin de recycler les eaux usées des communes, mais ces eaux, qui ne doivent pas être souillées par les déjections humaines, ne sont pas toujours disponibles.

L’hébergeur de Twitter, lui, a construit des puits… surtout pour sécuriser son accès à l’eau au cas où il y aurait des coupures, et pour dépenser moins d’argent. Un autre hébergeur a installé des réservoirs d’eau géants pour les mêmes raisons. Ce n’est pas l’écologie qui guide leurs actes en premier lieu.

Rares sont les data centers qui s’appuient sur des climatiseurs économes en eau, car ceux-ci sont plus énergivores. Chez Emerson Electric, on est clair : « L’eau est moins chère que l’électricité », dit son vice-président en charge du développement des affaires à Drew Fitzgerald. « Si le prix de l’eau n’augmente pas, il y aura une pénurie d’eau pour tout le monde ». En Californie, l’électricité coûte chère par rapport à l’eau et par rapport à son prix dans d’autres Etats du pays. Mais l’eau, bien que moins onéreuse, reste chère.

« Il est très surprenant de continuer à installer des data centers en Californie », lâche Pierre Leca, chef du département Sciences de la simulation et de l’information (DSSI) au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) - Direction des applications militaires (DAM) d’Ile-de-France. « Par rapport au climat et aux prix de l’électricité et de l’eau, d'autres Etats offrent un meilleur environnement. L’Oregon, par exemple, semble beaucoup plus propice à accueillir des data centers », détaille-t-il. (L’Oregon, au nord de la Californie, est devenu le nouvel eldorado des centres de données).

Refroidir au plus près les processeurs

Le CEA français possède deux data centers en région parisienne. Ils abritent des supercalculateurs plutôt que des serveurs de stockage de données numériques, mais ils sont soumis aux mêmes impératifs de refroidissement des processeurs (ou unités centrales) de leurs machines. Les chercheurs et ingénieurs du CEA ont trouvé le moyen entre 2000, année de construction de leur premier data center, et 2010, lancement du second chantier, de réduire de 30% la consommation d’eau de leur système de refroidissement. Ils utilisent plus d’électricité, certes, mais l’opération s’avère rentable économiquement et bénéfique pour l’environnement. Leur plus récent centre de données « boit » 7 millions de litres d’eau par an, quand l’ancien en « pompait » 200 ! Outre sept tours de refroidissement aéroréfrigérantes dites « hybrides » - car consommant très peu d’eau, en ruissèlement - qui soufflent de l’air froid dans les salles, ils ont installé des « portes à eau » directement sur les armoires renfermant leurs machines pour les rafraîchir mieux et en utilisant moins de ce précieux liquide.

OVH, le géant français et européen des data centers, troisième au rang mondial, amène,


Un groupe de production d'eau glacée dans l'un des «data centers» du Commissariat français à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, en région parisienne.

CEA

lui, l’eau, directement sur les unités centrales de ses machines via de minces tuyaux, pour refroidir au plus près les processeurs. Mais toutes ces optimisations ne sont possibles que si elles sont mises en place à la construction du centre de données… ou à sa totale rénovation.

« Une fois qu’un data center est en fonction, il est très difficile de rationnaliser ses besoins en eau et en électricité. Concernant ceux de Californie déjà en service, il faudrait investir, faire des travaux et tout rénover pour qu’ils consomment moins », conclut Pierre Leca. Mais aucune loi ni aucun label n'exhorte ou ne pousse les entreprises installées en Californie à effectuer ces changements. « En Europe, la Commission européenne a publié un code de bonnes conduites à mettre en place pour maîtriser les consommations de fluides et d’énergie dans les data centers, et nous l’appliquons depuis sa sortie en 2000 », ajoute le chef du DSSI au CEA. Une centaine d’institutions, d’universités et d’entreprises privées de l’Union européenne optimisent ainsi leur fonctionnement. 

 

Quand la foudre tombe sur Google

RIM BOSSARD 21 AOÛT 2015 À 14:39 <

http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2015/08/21/quand-la-foudre-tombe-sur-google_1367007?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter


Le campus Google à Mountain View (Californie), en février. (Susana Bates.AFP)

RÉCIT Un centre de stockage de données basé en Belgique a été frappé à quatre reprises par la foudre à la mi-août. Si le géant du Net dédramatise, certains clients ont tout de même perdu définitivement leurs documents.


La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, une expression à faire grincer des dents Google. Car le 13 août dernier, le géant du Net a vu la foudre s’abattre quatre fois sur un des ses data center situé à Saint-Ghislain, en Belgique. Le phénomène climatique a provoqué une panne de courant, qui a vite été maîtrisée grâce à la relève des systèmes d’alimentation de secours. Malheureusement, la perte d’énergie a entraîné à plusieurs reprises des erreurs au niveau du traitement des données stockées par Google, causant la perte définitive d’une partie d’entre elles.

L’entreprise s'est employé à dédramatiser cet événement en arguant que cette perte irrémédiable ne concernait que 0,000001 % des données de son entrepot de stockage numérique belge. L’incident a cependant pu affecter certains clients, qui avaient payé pour que Google leur fournisse un espace où conserver leurs données.

PAS RESPONSABLE DES CATASTROPHES NATURELLES

« Nous prions tous nos clients ayant été affectés par cet événement exceptionnel de nous excuser. » a déclaré la société sur un de ses blogs. Mais la société a également tenu à rappeler qu’elle n’était en aucun cas responsable des catastrophes naturelles pouvant endommager ses équipements et a encouragé ses clients à faire des doubles de sauvegarde de leurs données.

Ce nouveau type d'accident industriel, propre à la nouvelle ère numérique, n'est pas une première. L’ouragan Sandy avait par exemple causé un certains nombre de dégâts sur différents centres de données en 2012 lors de son passage sur la côte Est des Etats-Unis. Des sites comme le Huffington Post et Buzzfeed avaient été momentanément mis hors circuit.

Des études sont régulièrement établies pour définir un classement des pays du monde où il est le plus sûr d’implanter ses data centers. Si le risque de catastrophe naturelle est un paramètre à prendre en compte, il n’est cependant pas le premier et intervient après le coût de l’énergie, la capacité de la bande passante, la stabilité politique du pays et son coût du travail. C’est pourquoi les Etats-Unis figurait en tête du classement en 2013 malgré les risques de tremblements de terre et d’ouragan élevés dans cette région du monde. D’autant que la plupart des centres de données sont situés dans la Silicon Valley, pas très loin de la faille tectonique de San Andreas à l'origine de séismes aussi réguliers qu'importants en Californie.

Les déclarations de Google ne permettent pas aujourd’hui de déterminer avec précision les quantités exactes de données perdues par leurs propriétaires clients du moteur de recherche. Ceux-ci sont désormais prévenus, même le tout puissant Google n’est pas à l’abri de la colère céleste.

Rim BOSSARD

 

SOMMAIRE DE LA PAGE :                       

1- Interview de Paul Watson par Télérama.fr : En 1977, il fonde Sea Shepherd, ONG de défense des animaux marins aux méthodes controversées. A 64 ans, toujours radical, le capitaine n'a pas fini de jouer les pirates “40 % des poissons vendus proviennent de pêches illégales”


2- Un effet bœuf sur le climat : « Le secteur de l'élevage a des impacts environnementaux si profonds et d'une telle ampleur qu'il devrait être considéré comme l'un des principaux centres de préoccupation des politiques environnementales . » par Télérama.fr


3- En Californie, la «soif» inextinguible des «data centers» - Hebdo - RFI


4- Quand la foudre tombe sur Google