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CompiègneChasse à courreOiseAlain DrachAvaCERF
Compiégnois : la chasse à courre exacerbe les passions
>Île-de-France & Oise>Oise>Compiègne|Alexis Bisson| 12 janvier 2018, 11h14 |2
Compiègne, mercredi. Depuis plus de deux mois, plus aucune chasse ne se passe sans que les membres du collectif Ava ne soient présents, aux côtés des veneurs. LP/A. B
Depuis plus de deux mois, les militants du collectif Abolissons la vénerie aujourd’hui (Ava) prennent part de façon systématique aux chasses à courre organisées, notamment en forêt de Compiègne. Une présence qui met sous tension les chasseurs… et les forces de l’ordre.
Ce sont deux mondes qui s’ignorent, qui ne se comprennent pas. Deux visions de la chasse irréconciliables, entourées de mépris et de haines tenaces. Et qui s’affrontent désormais deux à trois fois par semaine, depuis plus de deux mois, en forêt de Compiègne, de Laigue ou d’Ourscamp.
Depuis l’incident de Lacroix-Saint-Ouen et l’abattage d’un cerf dans une propriété privée, la présence des militants d’Ava (Abolissons la vénerie aujourd’hui) est devenue systématique sur chacune des chasses à courre. « Ça a été un déclencheur », glisse Stéphane*, lors de la mobilisation de mercredi. Il est un des membres du collectif créé à la fin de l’année 2016.
A chaque fois, ils sont une poignée de militants, et même jusqu’à une trentaine les week-ends, à suivre à travers les sentiers forestiers les équipages. Avec un objectif : tenter, tant bien que mal, de mettre en défaut la traque du cerf.
Jeu de piste en forêt
Ce mercredi matin, à 10 heures, ils sont neuf à se retrouver du côté du carrefour du Rond-Royal, à la sortie de Compiègne. Bien moins que le samedi précédent où plus de trente personnes s’étaient mises en chasse derrière l’équipage de Rivecourt. Pas de quoi décourager la petite équipée. Première étape : identifier le lieu de départ de l’adversaire à l’aide d’une carte du secteur. Une carte qui n’a (presque) plus de secrets pour eux. « On potasse, assure Raph*, un autre militant. On se fait même des quiz sur les différents carrefours… »
Direction la maison forestière de la Pépinière, au cœur du massif, où les attendent déjà leurs meilleurs ennemis. Il est un peu plus de 10 h 30 quand l’équipage de la Futaie des amis se met en branle. Dès lors, la journée prend des airs de véritable jeu de piste, où les veneurs qui traquent le cerf sont eux-mêmes poursuivis par les membres du collectif, équipé de talkies-walkies, jumelles et caméras.
Scindés en plusieurs groupes, accompagnés d’une voiture suiveuse, les anti-chasse parviennent à rester au contact des cavaliers. « Il faut être au plus près de la meute », souffle Stéphane. Pour le reste, tout est affaire de « feeling » et de « paris » pour deviner les directions prises par les cavaliers. Sur les sentiers forestiers, « anti » et veneurs se jaugent, se scrutent, laissant échapper ici et là quelques invectives. « Il y a une agressivité latente », concède Stéphane.
« Une chasse qui appartient au passé »
Mais qu’est-ce qui peut bien faire marcher toute une journée (parfois jusqu’à 30 km) ces militants de la cause animale ? « C’est quelque chose qui m’a toujours révoltée, depuis toute petite, s’agace Violette*. C’est une chasse qui appartient au passé, qui n’est plus du tout adaptée au monde d’aujourd’hui. » « Etre ici, c’est une façon d’abolir cette chasse de manière pratique, sur le terrain, abonde Stéphane. Et on va continuer à le faire jusqu’à une abolition réelle, légale. Pour le moment, rien ne peut nous arrêter. » « Notre meilleure arme, c’est notre détermination », renchérit Raph.
Pour coller au mieux aux basques des chasseurs, les « anti » ont aussi appris à décrypter le monde « très codifié » de la vénerie. Identifier, par exemple, les différentes fanfares sonnées par les trompes de chasse. Appréhender, aussi, ce langage très imagé, propre à la vénerie.
« Petite victoire »
Vers 16 heures, après avoir essuyé plusieurs fausses pistes, l’équipage rentre finalement bredouille. « Une petite victoire, savoure Stéphane. Il faut continuer à maintenir une pression. » « Notre présence est avant tout psychologique, estime Jean-Claude. On les énerve… » Depuis le début de la saison, en septembre, l’équipage de la Futaie des amis a servi quatre cerfs.
* Les militants d’Ava utilisent, pour la plupart, des pseudonymes
Vénerie
La vénerie, ou « chasse à courre » consiste à poursuivre un animal sauvage, tel le cerf, avec une meute de chiens courants, jusqu’à sa prise. Seuls les chiens chassent, le rôle de l’homme, généralement cavalier, consistant à les contrôler et à les suivre. Dans l’Oise, il existe, officiellement, dix équipages de chasse à courre.
« Un jour ou l’autre, tout ça finira mal… »
LP/A.B.
Entre veneurs et anti-chasse, l’hostilité réciproque se lit, d’abord, dans les regards. Un mélange d’arrogance et d’ironie qui en dit plus que les rares invectives entendues mercredi. En apparence, sur place, le ton est presque poli. Sans doute sensibles à la « charte de la vénerie » qui invite le veneur à être « en toutes circonstances courtois », les cavaliers donnent du « bonjour » à la poignée de militants.
Pourtant, la présence systématique de ces « nazillons », comme le dit un des chasseurs, a fini par mettre les nerfs des équipages à vif. « La pression exercée par les opposants a atteint un niveau d’une telle ampleur qu’ils mettent dorénavant en danger la vie d’autrui », pestait Alain Drach, dans un communiqué, à la suite d’un accident de la circulation impliquant un cerf vraisemblablement chassé à courre. Et le maître d’équipage de la Futaie des amis de déplorer une « montée des extrêmes ».
« Bien sûr que c’est une vraie gêne pour nous, fulmine un suiveur, au départ de la chasse. Ces gens sont des illégaux. La chasse, elle, est légale. » « On tente de faire abstraction, mais ce n’est pas toujours facile, regrette un jeune homme, chargé de surveiller les bords de route. Qu’ils n’aiment pas la chasse, on peut le comprendre, mais qu’ils nous laissent vivre notre passion tranquille. »
« Il y a une agressivité qui est dommageable », regrette quant à elle cette « simple suiveuse » qui apprécie « la vénerie bien faite » et se passionne pour le « fabuleux travail » des chiens. Les nombreux suiveurs à vélo, eux aussi, contiennent tant bien que mal leur colère. « On les respecte, alors qu’ils nous respectent aussi, rouspète l’un d’eux. Un jour ou l’autre, tout ça finira mal… »
Les forces de l’ordre veillent
Police municipale, police nationale et gendarmerie étaient mobilisées mercredi. LP/A.B.
Mercredi, la poignée de militants d’Ava a réussi le tour de force de mobiliser, en quelques heures seulement, la police municipale, puis la police nationale et la gendarmerie. Vers 13 heures, alors que les chasseurs évoluent aux abords de l’allée des Beaux-Monts, à Compiègne, deux véhicules de la police municipale débarquent en trombe, sirène hurlante. Une « agression » leur aurait été signalée en forêt de Compiègne. Fausse alerte, les forces de l’ordre repartent rapidement. Plus tard, c’est au tour de leurs collègues de la police nationale de débouler dans les allées du parc. Cette fois, les fonctionnaires de police procèdent à la fouille des sacs et relèvent les identités des « manifestants », sous l’œil goguenard des suiveurs. « On ne se quitte plus, dites-moi… », dit avec un sourire un des policiers.
Car depuis des semaines, la présence des forces de l’ordre fait partie intégrante de la chasse. « Ça devient presque une intervention de routine, soupire un gendarme. On doit veiller à apaiser les tensions. Le risque, c’est qu’un jour il finisse par y avoir un accident. » Un accident impliquant les chasseurs et les veneurs, bien sûr, mais également les automobilistes.
L’accident de la circulation survenu sur la N 31, à hauteur de Rethondes, le 3 janvier, faisant un blessé léger, est venu rappeler les risques de cette chasse en termes de sécurité routière. Consciente du problème, la préfecture assure vouloir « clarifier les règles ».
« Des conventions seront prochainement signées avec les équipages volontaires pour rappeler les règles de la chasse à courre afin d’éviter les accidents ou la confrontation avec les habitants », indique le cabinet du préfet. Face à un contexte de plus en plus tendu, la préfecture « appelle les différents protagonistes au calme et à la retenue ». Et veille à ce que « la situation ne dégénère pas davantage ».
Une réunion publique ce soir à Bonneuil-en-Valois
Le 26 décembre, un cerf aux abois s’était réfugié dans un jardin. DR
Pour tenter d’apaiser les esprits, Gilles Laveur, le maire de Bonneuil-en-Valois, organise ce soir une réunion publique en présence de l’AVA, et de Christian Ferté, président de l’équipage de Villers-Cotterêts (Aisne). Le 26 décembre, un cerf traqué a été sauvé grâce à la mobilisation des habitants de ce village du Valois. L’animal s’était réfugié dans une propriété privée, rue des Buts.
La situation a marqué la commune, quelques semaines après l’incident de Lacroix-Saint-Ouen. « Un échange constructif sera plus intéressant que des cris dans tous les sens », souligne l’édile, navré par les commentaires postés sur les réseaux sociaux après cette mobilisation.
Sur le fond, la réaction de Gilles Laveur illustre le tour plus politique qu’a pris cette contestation locale. Le 22 novembre, Laurence Rossignol, sénatrice (PS) de l’Oise, a déposé une proposition de loi visant à interdire la chasse à courre en France. « Il est temps de provoquer un débat collectif sur ce sujet, souligne l’ancienne ministre. Il s’agit, d’abord, d’une mesure de précaution. Cette pratique provoque des conflits d’usage et de voisinage. Il faut y mettre fin, car un jour ça tournera au vinaigre. »
PLAN DE LA PAGE :
1- Compiégnois : la chasse à courre exacerbe les passions http://l.leparisien.fr/s/MBjl via @LeParisien_60
2- http://www.leparisien.fr/compiegne-60200/compiegnois-la-chasse-a-courre-exacerbe-les-passions-11-01-2018-7495941.php#xtor=AD-1481423554